Interview : Nicolas Bouvier (Sparth), concept artist
Nicolas Bouvier, plus connu sous le nom de Sparth, est un concept artist de renommée mondiale. Il a travaillé sur des jeux vidéos tels que Assassin’s Creed, Rage ou encore Prince of Persia : L’âme du Guerrier. Non content d’avoir bossé pour Darkworks, UbiSoft ou encore idSoftware, il a aussi réalisé les couvertures de nombreux livres aussi bien français qu’anglais. Ses oeuvres ont d’ailleurs été publiées dans de nombreux ouvrages et son propre artbook « Structura – The art of Sparth » est un véritable succès. C’est donc avec un immense plaisir que nous lui avons posé quelques questions !
Comment vous est venu cette passion pour l’illustration et la peinture et quelles études avez-vous faites pour en arriver là ?
Je dessine depuis que je suis tout petit. A partir de 5 ans je mettais en place des histoires accompagnées de textes simples. C’était le plus souvent animalier, avec des oiseaux et des petits cochons. Ne me demandez pas pourquoi des petits cochons, je serais incapable de m’en souvenir.
A partir de la il s’est en effet avéré que la seule chose qui me passionnait était le dessin, j’avais pour tout le reste une attitude plutôt neutre et réservée. Ce n’est que bien plus tard, vers les 15 ans, que je me suis ouvert un peu plus sur le monde, et que j’ai progressivement découvert ce que j’aimais ou n’aimais pas, ce qui me faisait vibrer. Dans mes souvenirs, je dirais que tout ce processus a pris du temps. Je devais me trouver, comme bon nombre d’entre nous au même age, et ce n’est qu’a l’adolescence que je pense être véritablement devenu quelqu’un de passionné.
Malgré cette attitude un peu introvertie, j’ai quand même eu la chance énorme d’avoir des parents qui bougeaient d’un pays à l’autre, et ces migrations n’ont pas du me laisser indifférent que ce soit sur le plan culturel et artistique. Mais ce n’est que plus tard que j’ai réalisé l’impact que ces itinérances ont eu sur moi.
Apres un bac philosophique en 1989 j’ai passé une année préparatoire à l’Atelier de Sèvres, et j’ai intégré l’ENSAD les arts décoratifs l’année d’après.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ? En quoi les voyages que vous avez effectués sont-ils si importants ?
Quand on est gamin on retient tout : les détails qui nous entourent, les couleurs, les sons, les odeurs. Le cerveau est en mode apprentissage je suppose, encore plus qu’à l’âge adulte. Je me souviens par exemple à 12 ou 13 ans, d’avoir soulevé une pierre sur le sol poussiéreux de Bali, pendant que mes parents regardaient une crémation. Sur cette pierre il y avait un scorpion et je l’ai donc jeté au loin très vite. Quelques minutes plus tard je trouvais un gros billet par terre pendant que la crémation continuait. Je voyais les choses à mon niveau, celui du sol.
Si je me souviens bien, on brulait le corps d’un personnage important. Des hommes portaient une sorte d’énorme palanquin, effectuaient d’énormes cercles avec, en chantant. Plus tard ils le brulèrent, selon la tradition de l’ile. C’était impressionnant.
Tout ces détails, petits et gros, sont toujours la, années après années. Et ce n’est la qu’un exemple. Mais la vie n’est faite que d’événements comme celui-ci, d’autant plus lorsque l’on change de pays plusieurs fois.
Je pense sincèrement que notre sensibilité artistique est la conséquence de toutes ces années d’observation et d’apprentissage. Maintenant bien sur, d’un point de vue plus actuel, mes sources d’inspiration sont multiples. De John Berkey en passant par Vangelis, je me nourris d’images et de sons au jour le jour, et cela d’autant plus vite que le monde va plus vite.
Vous-êtes passé de l’univers sombre et cauchemardesque d’Alone in The Dark à l’époque médiévale et ensoleillée d’Assassin’s Creed. Quel est votre secret pour vous adapter à des projets si différents ? Quelle est votre technique pour vous immerger dans un univers ?
Le Concept design s’adapte à n’importe quel univers puisque les règles graphiques afin de produire des images de qualités sont les mêmes. Lorsque l’on sait ce que sont des couleurs complémentaires, ou comment élaborer des directions visuelles dans ses images, on peut se permettre d’extrapoler ces règles à tous les univers, sans aucune limites. La connaissance de l’anatomie et de la perspective sont bien deux des conditions majeures, à savoir que pour les deux disciplines, l’apprentissage ne se termine jamais. C’est, je pense, une position très saine à toujours conserver.
Bien sur j’ai mes préférences : la science fiction et la dépitions de l’Espace sous toutes ses formes sont deux choses qui me fascinent, et j’ai également une passion totalement déraisonnable pour l’univers de Blade runner et d’Alien, tout deux de Ridley Scott. Mais j’aime également passionnément les univers post-apocalyptiques. J’ai d’ailleurs travaillé sur le projet Rage de IDsoftware à Dallas, de 2005 à 2008 : un univers totalement « post apo » si je puis dire. Là encore les possibilités sont infinies.
A noter aussi que lorsque je crée, je « vis » mon image. Je m’immerge mentalement afin de ne plus penser qu’à l’univers que je décris. Je le vis presque émotionnellement, et la musique joue un rôle énorme dans ce processus.
En tant que lead artist ou concept artist, quel est votre rôle précis dans le développement d’un projet ? Votre job se termine t-il assez tôt dans le processus de création ou perdure t-il jusqu’à son aboutissement ?
Le Lead artist est souvent la personne sur laquelle les directeurs artistique et créatifs s’appuient afin de matérialiser leurs idées sur écran. Il doit pour cela connaître les intentions du projet en cours, et les besoins qui en découlent. Lorsque certains éléments du scenario ou du game design sont décidés, le concept artist est également là pour faire en sorte que ces concepts prennent vie, visuellement parlant. Cela implique des sketches rapides en noir et blanc, des story board, des idées de personnages, des idées rapides de gameplay mis sur papier, etc…
En théorie on joue toujours un rôle dans les deux premier tiers d’une production de jeu, ainsi que pendant toute la période de pré-prod, cela va de soi. Mais il arrive souvent aussi que l’on ai besoin des concept artists jusqu’aux tous derniers jours et au delà, surtout pour les besoins en marketing correspondant aux périodes de sortie des jeux : couvertures de magazines de jeu, interviews et making of, etc.
Le domaine du jeu vidéo semble vous tenir à cœur. N’avez-vous pas envie d’explorer des milieux totalement différents à l’avenir ?
J’ai souvent voulu explorer d’autres univers tel que le cinéma, et je l’ai d’ailleurs fait plusieurs fois pour des productions ponctuelles. Mais j’ai toujours refusé de travailler sur des productions plus longues car la plupart du temps cela implique une inadéquation totale avec le rythme d’une vie de famille. Sur ce niveau la, l’industrie du jeu vidéo est plus stable, non seulement au niveau des horaires, mais aussi financièrement. J’ai trois enfants, et m’éloigner pendant plusieurs mois d’affilés pour un tournage me parait hautement impossible.
L’année dernière j’étais en contact avec Dreamworks que je suis allé voir a Glendale en Californie, et bien que j’aurais été très enthousiaste de les rejoindre, on a donc convenu avec ma femme qu’il était préférable de ne pas déménager sur Los Angeles. Nous avons préféré Seattle où nous vivons depuis janvier 2009, et nous y sommes très heureux. L’état de Washington est extrêmement vert et la nature est ici partout.
Est-il facile d’entrer dans le milieu du jeu vidéo en tant qu’illustrateur ? Quelles sont les qualités requises ?
Pour être honnête, en 1996 lorsque j’ai commencé, ce corps de métiers était tellement nouveau qu’il serait difficile de comparer avec la période actuelle. A l’époque, l’industrie du jeu en France était maladroitement liée aux métiers du multimédia et du support CD-rom (le mot aujourd’hui prête à sourire je l’avoue), et souvent les artistes qui proposaient leur services faisaient partie du monde de la BD.
Aujourd’hui le problème découle plus du fait que les places sont rares pour un métier qui a trouvé sa place et qui s’est professionnalisé avec le temps. Les studios de jeu en France restent rares, et de fait beaucoup de jeunes concept artists tentent leur chance en Amérique du Nord ou dans d’autres parties de l’Europe. Mais les artistes français sont bien là et leur originalité est véritablement reconnue, non seulement en France mais aussi à l’étranger.
Je pense que les meilleurs artistes qui ont intégrés le monde du jeu vidéo aujourd’hui sont ceux qui ont pu bénéficier des techniques traditionnelles et qui sont progressivement passés au numérique pour les besoins du métier. Mais ce qui est peut être tout aussi important aujourd’hui, c’est de savoir, en tant qu’artiste, s’intégrer intelligemment dans les compagnies qui nous embauchent et qui ont besoin de nos services. Acquérir de bonnes capacités de jugement et savoir exprimer clairement ses idées sont des concepts tout aussi importants que de bien réaliser une illustration pour un client.
Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview.
Merci à vous.
Découvrez vite le portfolio de Nicolas Bouvier et n’hésitez pas à vous procurer son artbook « Structura – The art of Sparth ».